Certains proverbes ont
un vrai sens, voir une réalité...
Tous de mèche!!!
Il y a un peu plus de deux ans, mes potes et moi, nous avons créé une boîte : VIGILES & CO. On a pas mal ramé au début, maintenant ça va… Du moins, je le croyais, jusqu’à aujourd’hui.
Aujourd’hui : coup dur. Le fisc réclame des arriérés de TVA, plus une pénalité. Habituellement c’est Karim qui règle ce genre de dossiers. Il est absent ; on découvre que ce salaud a raflé le magot et s’est barré en nous laissant le caca.
Quand on raconte, les types des Impôts se fendent la poire mais du moins acceptent-ils d’en rabattre, pourvu qu’on se mette à jour. Où trouver le fric ? On rumine, on tire des plans, on tourne en rond… Ce fumier de Karim a tout raflé.
Karim est – était – le gestionnaire et un associé, au même titre qu’Abdel, un autre Beur, ou bien Moctar, le Black de service, et moi, fils d’immigrés portugais, sans oublier Nathalie ma meuf, mais elle, c’est différent. Elle ne bosse pas avec nous ; elle est serveuse dans un bar. Je m’explique…
Comment dire ? Ça remonte à nos débuts. Lorsqu’on a consulté, le type de la loi nous a conseillé de garder le statut salarié. Comme aucun de nous ne voulait faire du trapèze sans filet, on a été amené à chercher une solution extérieure ; Nathalie s’est dévouée. En théorie, c’est donc elle le PDG, ou plutôt la gérante. Bien sûr, c’est pour la galerie.
Nathalie est une chic fille et bien roulée ce qui ne gâte rien. Tout le monde l’adore. Je l’aime. Bientôt trois ans que nous sommes ensemble. Elle travaille dans une brasserie du centre-ville. Abdel, Moctar et moi décidons de la rejoindre, histoire de bouger et accessoirement pour casser une graine, bien que personne n’ait grand faim après tout ce charivari.
On débarque dans la brasserie. Le patron est un pote, Jojo qu’il s’appelle, on vomit nos griefs… Karim… ce gros naze… l’ordure… des trucs comme ça, Jojo compatit, on boit, on grignote pendant que Nathalie bosse. Elle n’a pas trop de temps, le boulot. Il y a foule. De toute façon, elle pige tout de travers. C’est une blonde.
- Ils ont pas dit que ça pouvait s’arranger ?
- Si !
- Alors pourquoi vous fermeriez la boîte ?
- Mais non… le fric… ouais, t’as raison ! Ça va s’arranger…
Pas la peine de discuter avec une blonde. Vrai aussi que mon humeur n’est pas accommodante ; l’embrouille me bouffe les neurones. Et Abdel et Moctar ne sont pas non plus dans de meilleures dispositions.
- J’ai pas le cœur à lever une meuf, ronchonne Moctar quand je lui fais remarquer le potentiel alentour.
Surprenant pour quelqu’un vif comme l’éclair et toujours prêt à tirer.
Sur ces entrefaites, un message inespéré : « Désolé, j’ai l’argent, vous attends chez ma mère. Karim ».
On est ahuris ; même dans les films, ça n’arrive jamais ce genre de rebondissement. Les hypothèses fusent. L’allégresse chasse l’angoisse. Faut y aller ; Nathalie veut en être.
Nous déboulons à quatre chez la mère à Karim.
- Karim vient de partir… annonce-t-elle, totalement démolie.
- Il est parti où ? questionne-t-on, unanimes et dépités.
- Il a pas voulu dire… Là ! Le sac, il a dit que c’est pour vous.
Abdel s’empare du sac.
- Qu’est-ce qu’il a fait Karim ? Toi, Pedro, tu me le dirais si c’était grave, supplie la maman en s’adressant à moi.
- C’est rien du tout… Vous faites pas de souci Madame Boughraf.
Je réponds arrondissant mon intonation autant que les angles parce que je la respecte beaucoup, et malgré tout distrait parce que je ne veux rien perdre de ce que font les autres.
Le sac contient de l’argent, beaucoup d’argent ainsi qu’un mot griffonné à la va-vite.
Désolé les gars, je croyais m’en tirer sans faire de bruit ; c’est pas possible. Je vous donne ce que j’ai récupéré ; l’autre moitié quand je rentre dans mes fonds. Pour le fisc, chargez-moi, déposez plainte ; de toute façon, je ne serai bientôt plus en France. Bonne chance. PS : j’ai la honte.
Ce n’est pas tout à fait ce que son SMS promettait mais le tas de billets nous impressionne malgré tout. Selon nos estimations, cela devrait faire la balle pour quelque temps. On est tous soulagés quoiqu’on dise.
- C’est toujours ça de récupéré. Bon ! Qu’est-ce qu’on fout maintenant ?
Après tant d’émotions, la perspective de nous séparer nous paraît incongrue. Sans compter qu’il y a le fric ; pas question de se balader en ville avec ça. Á qui le confier ? Même si personne ne l’avoue, la belle confiance d’antan n’est plus ce qu’elle était.
- Allons à l’appart, si vous voulez, intervient soudain Nathalie, trépignant d’impatience.
Son offre emporte l’unanimité. Elle loue un appartement dans un immeuble voisin. J’y vis d’ailleurs avec elle. Ce n’est pas loin ; nous nous y rendons à pied ; en chemin nous achetons deux packs de bières chez le Tunisien du coin.
ooo000ooo
J’ai posé les packs sur la table du salon, chacun se sert, on boit au goulot. L’ambiance est morose ; les paroles rares. Il a été convenu que Nathalie garderait l’argent ; ça ne m’enchante guère mais à défaut de coffre au bureau, pas de meilleure solution.
Un point nous chiffonne encore, que résume parfaitement Abdel :
- Est-ce qu’on peut pas se débrouiller sans porter plainte contre Karim ?
Ça se fait pas chez nous, sans compter qu’on a encore un peu de sentiment pour lui.
- Pas possible ! C’est obligatoire pour prouver notre bonne foi, a dit le type du fisc, rappelle Moctar, ruinant tout espoir.
Á nouveau le silence. On en veut à Karim pour sa trahison plus encore que pour le fric mais on n’efface pas facilement des années de souvenirs communs.
- Remarque, il risque pas grand-chose, une fois planqué en Algérie, s’exclame Abdel, en pensant à voix haute.
- Et ça m’étonnerait qu’on revoie jamais le reste du fric, ajoute Moctar.
Allez comprendre ! Cette prévision pour le moins pessimiste suscite l’hilarité générale. Chacun semble soudain rasséréné bien que la donne n’ait pas fondamentalement changé. Je ricane, Moctar raille, Abdel se gausse. Puis les ricanements, les railleries et autres conneries montent d’un cran et tout le monde se tord, même Nathalie participe au concert. On en rajoute, on rit, on s’esclaffe, les nerfs relâchent.
L’atmosphère est maintenant détendue, chacun dégoise, tous s’agitent. Abdel cherche du whisky, trouve un fond de bouteille de rhum ; Moctar tripote la chaîne, charge un CD ; moi, j’évacue les cadavres et fais le ménage ; Nathalie me donne la main en plaisantant mes heureuses dispositions…
Moctar l’interrompt, l’invite à danser. Mademoiselle fait la mijaurée. C’est une surprise parce qu’elle adore danser. Le Black insiste, nous l’encourageons ; joyeux chahut ; elle s’incline. Abdel prend la suite, Moctar à nouveau puis encore Abdel… Ambiance de fête, on boit, on chante, on rit, on danse… Moi ? C’est mon habitude de me défiler plus souvent qu’à mon tour mais ma meuf est maligne.
- Pas d’excuse, c’est ton tour, commande-t-elle.
Pas moyen de me dérober.
- T’as rien remarqué, susurre-t-elle tandis que nous nous trémoussons en essayant de ne pas renverser les chaises.
- Quoi ?
- T’as pas vu que j’ai enlevé mon collant ?
Maintenant qu’elle le dit, je vois qu’elle est jambes nues. Elle portait un épais collant noir, faut croire que je deviens miro ! Où veut-elle en venir ? Sûr qu’elle va encore râler que je reluque les autres filles et pas elle. Prudence ! Je marche sur des œufs.
- Si, si… tu sais… on a pas mal de soucis…
- Je suis nue sous ma robe, me souffle-t-elle encore, tout près de l’oreille.
Merde alors ! Ne vous faites pas de cinéma ! L’explication est triviale, je lui demande aussi sec, vous pensez bien : en rentrant, elle est allée pisser. Ça pressait tellement qu’elle a mouillé la culotte si bien qu’elle l’a ôtée et le collant avec.
C’est drôle, maintenant que je sais, sa robe m’apparaît bien courte, trop courte, indécente même. Je lui en fais reproche. Elle rit, heureuse mais pas moins railleuse.
- Mais t’es jaloux !
- Non, non… Euh… c’est que…
- T’avais même pas vu.
Je la ferme, sinon elle n’en finirait pas de me charrier et les autres pourraient fort bien ouïr des échos, ce que je ne veux pas. Il y a aussi que je suis toujours mal à l’aise dès que je dévoile mes sentiments. Est-ce de la pudeur ? La pire, trempée d’orgueil et persillée d’un poil de machisme.
Sans doute m’accommoderais-je de l’audace de Nathalie si elle ne se montrait pas autant émoustillée… Quelle fièvre ! Elle est tout excitée. Et avec ça que son désir est contagieux, je sens monter les frémissements du mien. Pour le coup, j’en oublie complètement mes soucis pour ne plus penser qu’à elle.
Depuis que je sais, j’ai retrouvé de l’allant, je colle à mon tour sans plus le passer, je colle à son corps sans plus le lâcher. Il le faut pourtant sinon de quoi j’aurais l’air vis-à-vis des copains. Ceux-là aussi me semblent grandement allumés, surtout Moctar dont l’empressement n’est pas loin de me déplaire.
Aussi loin que je me souvienne, nous avons toujours été rivaux quand il s’agissait des filles. C’est lui qui nous a présenté Nathalie. Elle prétend qu’il n’y a jamais rien eu entre eux mais je suis malgré tout convaincu qu’il m’en veut de la lui avoir piquée.
Le sagouin serre Nathalie plus qu’il ne devrait. Que puis-je faire qui ne me rendrait pas ridicule ? Du reste, c’est à elle et à elle seule de réagir. Ne se fait-elle pas plus conciliante qu’elle ne devrait ? C’est mon impression, une désagréable impression.
L’excitation colore la jolie frimousse, la coiffure est échevelée, la gestuelle imprévisible. La prunelle pétille ; il y a longtemps que je ne l’ai pas vue s’éclater à ce point. Le couple s’esclaffe. Mon imagination prépare la vengeance, échafaude des tortures…
Maintenant c’est au tour d’Abdel de danser avec Nathalie. Elle a noué ses bras autour de son cou ; lui a posé ses mains sur les hanches de sa cavalière. La prise a pour effet de solliciter la minirobe dont le tissu remonte insensiblement. Je retiens mon souffle, pressentant l’inévitable. Je suis paralysé, sans voix, sans ressource ; mon regard reste bloqué, verrouillé, direction la révélation…
N’est-ce pas la naissance d’une fesse ? Le pli apparaît. Ces rides attendrissantes, imprimées dans la chair à la limite entre la croupe proprement dite et l’attache des cuisses. Je reconstitue mentalement les globes fessiers, le sillon. Ou bien est-ce une réalité ? Je ne sais plus. Moctar est pareillement hypnotisé. Il me lance des regards équivoques, presque venimeux. Nous partageons de facto la même fascination face à la troublante exhibition. Mon cœur, ma tête, mon ventre, mon sexe, sont emplis d’une exaltation sans mesure.
Silence, les baffles grésillent à vide, le couple se défait, je me précipite : une pulsion irrépressible : prendre la relève d’Abdel ! Pourquoi tant de hâte ? Il me fallait griller la politesse au Black, le salopard guignait la place. Allumé comme il est, le pire était à craindre.
Nathalie ondule, pressant son ventre contre ma queue, écrasant ses seins contre ma poitrine, nos corps sont collés, nos lèvres sont unies, nos langues se marient. Le slow est langoureux… Moctar rapplique, je ne l’ai pas vu venir. Il prend place derrière Nathalie. Elle semble amusée, ne regimbe pas. Je la boucle, craignant d’être bouffon…
En temps ordinaire, pareil jeu ne porte pas à conséquence, on rit, on blague et tout se dénoue dans la gaieté. En l’occurrence, tout peut survenir… Nathalie est immobilisée, prise en sandwich entre lui et moi. Elle n’en essaie pas moins de gigoter, forçant l’étau des corps qui l’emprisonnent, frottant son pubis sur ma verge bandée.
- On dirait que ça t’excite, apprécie-t-elle.
La finaude s’avise de vérifier, dégage un peu d’espace entre elle et moi puis glisse sa main en vue de caresser ma queue par-dessus le tissu du jean.
Je bande comme je n’ai pas bandé depuis longtemps, mais aigres sont mes réflexions. Des pensées perfides instillent le poison : Pourquoi cambre-t-elle tant les reins ? Pour frétiller du cul sur la bite au Black ?
Les yeux de Nathalie ne quittent pas les miens. Elle sourit, pose à nouveau ses lèvres sur mes lèvres. Sa langue se fait espiègle, le baiser passionné. Une partie de moi est en train de fondre, l’autre se rebiffe. Cette autre partie commande ma main : il me faut moi aussi vérifier. J’effleure la hanche, surfe sur la courbe ; la lisière de la robe est presque à mi-fesse, la peau nue… La rage ! Je dénude davantage.
- J’espère que tu sais ce que tu fais, proteste-t-elle en désolidarisant légèrement nos lèvres et écarquillant les yeux avec étonnement.
Elle ne se rebiffe pas plus que ça, n’essaie pas même de rajuster sa tenue et reste cul nu, collée au Black. Je bous, regrettant mon geste mais je lui en veux de ne pas corriger. Un sang dopé à la vindicte coule dans mes veines… J’imagine la grosse queue de mon rival, lovée dans le sillon entre les globes. Et ses mains ? Où sont ses mains ?
Je me détache, prends du champ. L’autre, telle une pieuvre, déploie ses tentacules et raffermit son emprise. Nathalie se méprend.
- C’est ce que tu veux, couine-t-elle en me défiant du regard.
Je me mure dans un silence dédaigneux, dardant un regard bravache, manière de dire « fais ce que tu veux, je m’en lave les mains ».
Pathétique !
Le spectacle est pitoyable. Elle est nue des pieds jusqu’à la taille, légèrement courbée en avant sous le poids du Black, lequel malaxe un sein par-dessus la robe. Son autre main glisse sur le pubis, plonge dans l’entrecuisse nue…
Un venin pervers dévore mes entrailles. Je me meurs de l’abandonner à l’autre mais c’est elle et elle seule qui choisit. Mon orgueil m’interdit une autre alternative. Je ne lèverai pas le petit doigt pour inverser le cours du destin, dussé-je connaître l’enfer pour le restant de mes jours. Je tourne le dos et rejoins Abdel, drapé dans ma dignité.
Le Black n’y va pas par quatre chemins. Il a tôt fait de la mettre en position, croupe tendue, échine ployée, mains en appui sur le plateau d’une chaise. Pantalon descendu, il prend place derrière elle. Je détourne le regard, croise celui de mon voisin. J’y lis de la concupiscence et de la pitié aussi. Est-ce à mon égard ?
Un cri de surprise, des gémissements. Je devine que le Black l’a pénétrée, qu’il a pénétré Nathalie, qu’il a… Un coup de poignard en plein cœur ne m’aurait pas fait plus de mal. Je reste prostré, aveugle mais pas sourd.
Des râlements, des gémissements… J’égrène les secondes, décompte interminable… Des cris, des aboiements, des halètements, des jappements, aigus, rauques qui n’en finissent pas… J’ai des envies de meurtre, je lutte, je me vide la tête… Penser à autre chose… Pitié, Mon Dieu… Le dernier galop, scandé par un chœur à deux voix…
L’apocalypse ! Ou l’apothéose, c’est selon. Elle hurle et gueule sans retenue aucune. A-t-elle jamais gueulé autant avec moi ? Sa jouissance scelle mon infortune. Ma vie, la sienne, la nôtre, notre bonheur passé et tout ce qui ne sera plus, défilent devant mes yeux. Rien ne sera plus comme avant !
J’entends Moctar s’exclamer.
- C’était génial.
C’en est trop, je me lève avec des intentions de meurtre.
- Tu vas pas nous chier une pendule parce que j’ai tiré un coup. Je la baise tous les jours ta nana, me balance-t-il sans ménagement.
Touché ! Je m’arrête net.
Le Black me toise de sa hauteur, c’est un colosse, il me rend une bonne tête et au moins vingt kilos, de quoi réfléchir quand même. Sa bite pendouille, luisante d’humeurs. Derrière, Nathalie est encore pliée, la lune à l’air.
Au même moment, indifférent au drame en train de se jouer, Abdel nous contourne ; ses intentions sont pour le moins équivoques.
- Toi, c’est pas le moment, hurle Nathalie à l’encontre du Beur qui vient l’entreprendre. Puis, s’adressant au Black : plus con que toi, faut se lever de bonne heure, tu pouvais pas la fermer.
Mes neurones pédalent dans la colle puis soudain tout devient clair, les cocus sont toujours les derniers à le savoir. Je vois rouge et fonce, n’écoutant que mon inconscience.
Résultat, je finis la nuit à l’hosto. Quant au reste, j’ai tout perdu, ma nana, mon logement et aussi mon boulot. En un sens on peut dire que c’est la faute à ce salaud de Karim. Du reste, j’ai appris que lui aussi la sautait.