Un superbe texte écrit avec beaucoup élégance.
A dévorer lentement avec gourmandise.
Comme les copains avec sa nana...
A dévorer lentement avec gourmandise.
Comme les copains avec sa nana...
Quand le cocu tient la chandelle
Auteure : Catherinecouple : I
Brave Margaux
Je m’appelle Erwan.
A l’époque de cette histoire, j’avais 28 ans et ma compagne 26.
Mes parents ont eu la chance (si on peut parler de chance dans ces conditions) d’hériter d’une petite maison secondaire dans les contreforts des Corbières, à quelques minutes des côtes du Roussillon, de ses plages prisées comme Leucate, Argelès ou St Cyprien et de ses petites villes hautement touristiques comme Banyuls ou Collioure.
Oh, ce n’est pas une grande propriété comme on peut en voir de très belles dans l’arrière-pays catalan, ce n’est qu’une petite fermette perdue dans la campagne, une vieille maison aux murs épais qui gardent la fraicheur à l’intérieur, même au plus chaud de l’été.
Elle est composée de deux belles pièces : Une grande cuisine à l’ancienne servant aussi de salle de séjour et une chambre où peuvent tenir aisément un lit double et un lit simple. Dans La cuisine, quelques mètres carrés ont été rognés pour installer une salle de douche digne de ce nom ainsi que des sanitaires.
Loin d’être un palace, donc, mais rénovée avec goût par mon père et idéalement placée pour des vacances au soleil à peu de frais. Et quand on est un jeune couple sans le sou, se voir confier les clefs de ce petit paradis pour trois semaines, c’est une aubaine qu’on n’imagine pas renier. Voilà pourquoi, nous nous trouvions là-bas, Margaux et moi, en ce début de mois d’août à la chaleur écrasante.
Margaux, c’était ma raison de vivre, mon étoile, mon soleil… ma passion !
Une fille superbe !
Une poupée super bien roulée d’un mètre soixante aux longs cheveux auburn, au regard bleu-vert intense, au sourire ravageur et dont le rire joyeux me chavirait immanquablement à chaque fois que je l’entendais.
Ca faisait trois ans qu’on filait le parfait amour et je ne m’étonnais encore qu’une fille aussi jolie se soit intéressée à moi au point de devenir ma compagne. Non pas que je sois un parangon de laideur, loin s’en faut, mais je savais aussi être réaliste : Avant de rencontrer Margaux je n’avais pas eu un succès démentiel auprès des filles et mon physique que je qualifierais de quelconque n’y était sans doute pas étranger. De plus, je n’ai jamais été un grand sportif et cela ne s’était pas arrangé depuis que j’étais avec Margaux. Si bien qu’à mon grand désespoir, je commençais à voir pousser sur mes flans des petites poignées d’amour dont j’allais avoir le plus grand mal à me débarrasser.
Ca faisait rire Margaux. Elle disait que c’était sexy chez un homme.
e ne vois pas ce que ces petits bourrelés disgracieux ont de « sexy » mais puisqu’elle le disait.
Et quelque part, était-ce de ma faute si elle nous préparait d’aussi bons petits plats ?
Mais promis : A la rentrée j’allais m’inscrire dans une salle de sport ! Juré craché !
Par ailleurs, si elle était avec moi, ce n’était pas non plus pour ma tchatche et mon charisme.
Je n’ai jamais été un Don Juan mais plutôt un grand timide qui, de temps en temps, essaye de se soigner. Alors je ne crois pas qu’elle m’ait remarqué pour mon aisance naturelle.
Enfin bon. Voilà.
Je n’étais pas du genre à me faire des nœuds au cerveau pour connaître le pourquoi du comment. Je ne savais pas pourquoi Margaux avait atterri dans ma vie mais c’était comme ça et ça suffisait largement à mon bonheur.
*****
Qu’est-ce qu’on était bien là-bas ! Le déprimant « métro-boulot-dodo » nous semblait si loin.
On profitait à fond : On ne faisait rien et c’était génial !
D’ailleurs, rester à ressentir le temps qui passe lentement et à communier avec la nature, est-ce vraiment ne rien faire ?
Bah, en tout cas, c’était sacrément reposant.
On avait même renoué avec une habitude dont la routine nous avait insidieusement éloignés : Faire l’amour une fois par jour. Et ça, les galipettes quotidiennes, ma petite femme, elle adorait !
Je dis : « ma femme » mais nous n’étions pas mariés. Nous trouvions cet engagement solennel si démodé et si illusoire qu’on n’en voyait pas l’utilité. Même sans l’alliance et sans la cérémonie, elle était ma femme et moi son homme.
Il y a tellement de couples qui se marient sans s’aimer.
Nous, on s’aimait sans être mariés, un point c’est tout.
Alors, bien-sûr, on peut aussi se demander si la suite des évènements aurait été différente si nous avions été mariés.
C’est une bonne question.
A laquelle je n’ai pas de réponse.
Nous étions tous les deux en train de comater une méga sieste sous le grand tilleul qui avançait son ombre bienveillante sur la courette devant la maison lorsque le portable de Margaux sonna.
Ca ne risquait pas d’être le mien : Depuis qu’il avait consommé ses dernières réserves de batterie, je l’avais abandonné au fond d’un sac et ne comptais pas l’en sortir avant le retour sur la capitale.
C’était ça aussi les vacances.
Mais Margaux ne pouvait s’y résoudre : Même en vacances, elle avait des tonnes de copines et de copains à qui parler. D’ailleurs, s’en était un exemplaire type :
- Salut Fab’ ! Ca va ?… Non, tu ne me déranges pas du tout…
Oh ben si, un peu quand-même.
- … Mais bien-sûr, quelle question ! Ce serait trop bête de passer si près et de ne pas nous faire un petit coucou ! On se fera un petit truc à la bonne franquette. Vous arriverez quand ?… OK, pas de soucis ! Par contre, faut que je te donne les coordonnées GPS parce que c’est carrément paumé, ici. Vous pourriez tourner trois heures sans trouver ! … J’allume le GPS tout de suite et je t’envois un SMS dès que je les ai.
Elle raccrocha et se leva d’un bond pour aller chercher l’appareil en question.
- C’était Fabien. Il est en route pour l’Espagne avec Théo et Bastien. Il me demandait s’ils pouvaient passer ici ce soir pour nous faire un petit coucou. Ils arrivent pour 8 heures. Ce serait bien qu’on range un peu et que tu ailles chercher de la viande au village : On va faire un barbecue. » Rajouta-t-elle en s’éloignant.
Je soupirai en m’extirpant à regret de la chaise longue. Pourquoi les filles font-elles toujours rimer bonne franquette avec corvées supplémentaires ? Si c’est à la bonne franquette, peu importe que le frigo ne sois pas rempli ! Et c’était pas trois mecs en goguette qui allaient se plaindre du désordre dans la maison.
Enfin bon… Ce que femme veux…
Voir débarquer ces trois larrons dans notre petite retraite douillette ne me faisait d’ailleurs pas spécialement sauter au plafond.
C’était des copains, juste des copains. Certainement pas des amis.
En plus, c’était plutôt des copains de Margaux… et encore !
Il n’y avait que Théo que l’on connaissait bien. Et pour cause : C’était l’ex de Lauriane, la meilleure amie de Margaux. Pas tout à fait son ex, en fait, puisqu’ils n’avaient pas officiellement rompu. Ils faisaient un « break ».
Enfin bon. On sait tous ce que ça signifie : Quand on demande à faire un break, c’est en général parce qu’il y a quelque chose qui cloche dans le couple et cette « pause » permet à l’un ou à l’autre d’aller voir ailleurs si l’herbe y est plus verte en toute impunité et tout en gardant l’illusion que si on ne trouve pas mieux, il y a toujours cette bouée de secours sécurisante du retour au bercail. Alors quand on sait que c’était Lauriane qui avait été à l’initiative de ce break et que l’on connaît le tempérament de cette nénette toute aussi jolie que sa copine, le pauvre Théo ne devait guère nourrir d’espoirs.
En même temps, je dis « le pauvre » mais celui-ci n’était pas spécialement à plaindre.
D’une part parce que contrairement à moi, c’était le beau gosse par excellence, le genre latin lover à la coupe impeccable, au regard sombre sous le sourcil séducteur et à l’assurance naturelle. Le mec super énervant pour les gars comme moi, quoi.
Et d’autre part parce que j’avais déjà pu constater que même en étant en couple, il ne se privait pas de « tester » son charme irrésistible auprès de la gent féminine. Le genre de type qui a fait sien le dicton : « Ce n’est pas parce qu’on a déjà mangé qu’on n’a pas le droit de regarder le menu. » Sauf que lui, je soupçonnais qu’en plus de regarder le menu, il lui arrivait aussi de consommer. Donc, s’il était vrai que le départ de Lauriane lui avait salement amoché l’amour propre qu’il avait surdimensionné, je ne me faisais pas de soucis pour lui. Il allait vite rebondir.
Le deuxième, Fabien, était le plus sympa des trois.
C’était le joyeux drille de la bande. D’un naturel toujours heureux, c’était aussi un redoutable pique assiette : Toujours dans les bons coups pour se faire inviter à droite ou à gauche, toujours au courant de la moindre fête organisée par la plus éloignée de ses vagues connaissances, il passait son temps à squatter chez les uns et chez les autres.
Je le soupçonnais même de s’être inventé une adresse bidon et de n’avoir pour autre point de chute régulier que la piaule chez papa et maman. Un as de la démerde, en tout cas. Pas étonnant que ce soit lui qui ait téléphoné à Margaux afin de pouvoir grailler à l’œil. De là à penser que cette étape « impromptue » avait été calculée à l’avance, il y avait un pas que j’étais prêt à franchir sans scrupule.
Le troisième, Bastien, je ne le connaissais quasiment pas. Et je ne tenais pas spécialement à le connaître. C’était le copain de Théo. Au plus nous étions nous rencontré trois ou quatre fois jusqu’alors mais cela m’avait suffit : Un con fini : Souvent grossier, parfois vulgaire, jugeant sans doute que sa musculature dopée à la gonflette et aux anabolisants l’exonérait d’utiliser plus de 2 ou 3 % de ses neurones, chacune de ses remarques me donnait une idée un peu plus précise du néant. Toutefois, il amusait Margaux qui lui trouvait des excuses.
Moi pas.
A mon retour du village, chargé comme un baudet, proche congénère des quadrupèdes qui me regardaient passer d’un air absent, j’eus la surprise de trouver Margaux changée et maquillée.
Oh, rien de très aguicheur mais malgré tout, cette soirée avait de moins en moins l’aspect d’une bonne franquette improvisée.
Ils arrivèrent tard.
Le ciel s’assombrissait déjà et le barbecue était bien avancé.
Fabien était au volant, à ses côtés Bastien et derrière, Théo semblait en train de se réveiller.
- Salut les amoureux ! » Lança le conducteur après avoir éteint son moteur non sans un dernier joyeux coup de klaxon. « Punaise ! Margaux ! Ça te va super bien d’être toute bronzée comme ça ! Je ne pensais pas que c’était possible que tu sois encore plus belle ! » S’écria-t-il en l’embrassant.
- Vil flatteur !
- Ah non ! Quand ça devient une telle évidence, ce n’est plus de la flatterie, c’est un constat, au pire un compliment !
Rose de plaisir, elle lui rendit ses bises et le laissa continuer vers moi :
- Salut Erwan, t’es un sacré veinard, tu sais ça ?!
Oui, je savais. Mais ça fait toujours plaisir de l’entendre, même si le gaillard avait une propension naturelle à exagérer. Je serrai avec entrain sa main tendue.
De l’autre côté de la voiture, Bastien étirait sa grande carcasse.
- Putain ! C’est vrai que c’est paumé ! Vous devez vous faire chier comme des rats morts, ici !Salut Margaux ! Alors, quand est-ce que tu dégrafes ton corsage ? Depuis le temps que j’attends la gougoutte !
Très drôle. Ça commençait fort !
En même temps, constater qu’il connaissait au moins une référence du grand Georges le faisait remonter un peu dans mon estime. D’un œil soupçonneux, je le regardai embrasser ma chérie qui gloussa :
- Tu rêves tout debout, mon grand !
Puis il s’avança vers moi, jeta un regard moqueur sur mes bras d’haltérophile biafrais et balança :
- Salut Erwan ! Alors, la muscu’, c’est pour quand ?
- Salut Bastien. J’y songe, j’y songe mais à chaque fois que je te vois, j’ai peur : Je me dis que si le développement synaptique est inversement proportionnel au développement musculaire, à choisir, je préfère encore garder mes mollets de coq.
Bien évidemment, il ne répondit pas. Je sais, ce n’est pas très charitable de vanner un abruti. Mais qu’est-ce que c’est jouissif, parfois ! Surtout quand celui-ci est beaucoup plus musclé que vous : Il y a cette sorte d’excitation liée au risque de s’en manger une bonne si le gars s’avère un peu plus perspicace que prévu. Là, ça ne risquait pas. Comme il n’avait pas la lumière à tous les étages, l’information n’avait pas eu le temps de faire le tour.
Derrière, Margaux disait bonjour à Théo.
La bise qu’ils échangèrent fut timide, presque empruntée. C’était la première fois qu’ils se voyaient depuis la rupture entre lui et sa meilleure amie et visiblement, ils ne savaient pas comment se comporter vis-à-vis de ça.
Toutefois, le mini-malaise ne tarda pas à s’évanouir dès que tout le monde passa à table.
Le repas fut joyeux.
Heureux et arrosé car les gars avaient dévalisé au passage un producteur local de rosé des Corbières.
Je n’aurais pas dû boire de rosé. En général, ça me file la migraine assez rapidement et celui-là avait beau être très bon, il ne dérogea pas à la règle. Mais je ne voulais pas rester sur la touche, faire le rabat-joie alors que tout le monde s’amusait. Et puis il me fallait bien ça pour supporter les blagues salasses de Bastien. Je sirotais donc gentiment, en écoutant les gars raconter leurs aventures.
En fait, ils étaient partis depuis trois jours de Paris et faisaient le tour des copains en vacances avec pour destination finale avouée, la riviera espagnole.
Le prétexte de départ était de divertir Théo pour lui faire oublier son « chagrin d’amour » mais comme tout prétexte, il masquait à peine le but ultime : Faire la bringue tous les soirs et, si possible, lever quelques nanas pas trop farouches pour égayer les nuits. D’ailleurs, le choix de la destination n’était pas innocent :
- Tu te rends compte ! Là-bas, y a des troquets et des boites ouverts 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 ! Le Pa-ra-dis !!
- Mais vous allez faire comment pour vous loger ? Vous avez prévu quelque chose ?
- Pas la peine ! On sort la nuit, et on récupère le jour : On pionce sur la plage ! C’est tranquille et c’est gratos ! Au pire, s’il fait frisquet, on monte la tente.
Imparable.
Nul doute que l’organisateur de cette méga party low cost se prénommait Fabien.
Margaux s’amusait bien. Riant de bon cœur aux blagues des garçons, elle rayonnait.
Et tous, nous n’avions d’yeux que pour elle.
En même temps, ce n’était pas trop difficile : C’était la seule nana au milieu de quatre mecs 100% hétéros. Et quelle nana !
Avec son T-shirt échancré et son mini short qui ne descendait guère loin sur ses cuisses bronzées, c’était clair que les gars avaient de quoi se régaler les rétines. Et il faut bien admettre qu’ils ne s’en privaient pas.
Sans être particulièrement à l’affut, je pus repérer bon nombre de regards sur les courbes de ma chérie. Du coup d’œil appréciateur de Fabien sur le décolleté un brin lâche du T-shirt vert anis, jusqu’au clin d’œil grivois adressé par Bastien à ses copains en reluquant le postérieur parfaitement moulé de Margaux alors que celle-ci se penchait pour ramasser quelque chose.
Même si ce n’était donc pas toujours discret, cet hommage plus ou moins appuyé à la beauté de ma compagne ne me choquait pas ni ne m’embarrassait. Au contraire, c’est toujours valorisant pour un homme de voir les charmes de sa femme appréciés par d’autres amateurs.
C’est un peu primaire, comme réaction, mais c’est comme ça. On aime toujours jouer les paons, même si c’est par l’intermédiaire de sa moitié. Alors, tant que ça restait courtois et discret, je ne trouvais rien à redire.
Sauf que Bastien avait une conception de la discrétion et de la courtoisie assez différente de la mienne. Quand il ne passait pas tout son temps à tripoter son portable, il lâchait une incongruité du genre :
- Alors, Margaux, quand est-ce que tu fais comme ta copine : Quand est-ce que tu largues ton mec ? Tu sais que je serai toujours là pour d’apporter une épaule réconfortante n’est-ce pas ? En plus, chez moi, j’ai un lit king size !… D’ailleurs, il n’y a pas que le lit qui soit « king size », chez moi, si tu vois ce que je veux dire… ha ! ha ! ha !
A part sa connerie, je ne voyais pas, non.
Mais Margaux éclata de rire en me sautant au cou :
- Ah non alors ! Je l’aime mon chéri ! Pas question que je lâche mon p’tit chou à la crème !
Mouais. Certes, il nous arrivait de nous donner quelques surnoms un peu con-con, cul-cul, mais là, en cette circonstance, je ne savais pas si je devais interpréter ce «p’tit chou à la crème» comme la gentille affection dont il était censé témoigner ou comme une toute aussi gentille et tendre allusion à ma gourmandise qui commençait à me gêner au niveau du tour de taille.
A constater l’air narquois des trois autres, ils avaient fait la même analyse que moi.
Toutefois, j’eus rapidement ma revanche en notant leur regard envieux lorsque, telle une chatte, Margaux se lova contre moi en ronronnant. J’enfonçais aussitôt le clou en saisissant le menton de ma dulcinée et en lui roulant une méga-pelle. Nul besoin de voir la réaction des trois autres pour savoir qu’ils mourraient d’envie d’être à ma place.
La soirée s’étira longuement, au son des grillons. La nuit était particulièrement douce. Nous étions restés dehors, attablés sur la terrasse. Soudain, Fabien s’étira en baillant :
- Dites, les gars, c’est pas qu’on s’ennuie et pour ma part, je resterais bien encore en compagnie d’Erwan et de sa jolie Margaux mais on n’a toujours pas trouvé de point de chute pour ce soir et il faudrait qu’on décolle avant que tous les campings du coin soient fermés !
Evidemment, Margaux tomba en plein dans le panneau avant que j’aie pu réagir :
- Oh non, les garçons ! Vous ne pouvez pas partir comme ça ! Il est bien trop tard et de toute façon, vous ne pouvez pas conduire dans votre état, après avoir bu tout ça !
S’exclama-t-elle en désignant la pile de cadavres qui gisait en bout de table.
Fabien joua l’embarrassé :
- Bah, c’est pas faux mais on ne voudrait pas vous déranger.
Ben voyons ! Comme si tu n’espérais pas en secret cette réponse !
Malgré tout, Margaux avait raison. Alors j’abondai en son sens :
- Y a pas de problème Fabien, vous n’avez qu’à planter votre tente par là, vous y serez bien.
- T’es pas bien chéri ! Tu ne va pas leur faire planter une tente à cette heure ! C’est pas humain ! Il y a largement la place dans la chambre pour y dormir à cinq. C’est juste pour une nuit, on peut se tasser un peu et se la jouer à l’auberge de jeunesse… Ce sera plus sympa !
Et elle se tourna vers les autres « En plus, on a un lit inoccupé pour une personne. Vous n’avez qu’à vous le faire à la courte paille : Celui qui gagne n’aura même pas besoin de gonfler son matelas et de sortir son duvet ! »
Conclut-elle visiblement ravie de pouvoir rendre service.
J’aurais voulu objecter que les tentes modernes se montent maintenant en « 30 secondes chrono » et que ça, ça aurait sans doute été plus simple pour tout le monde plutôt que de s’entasser à cinq dans la chambre certes vaste mais qui n’avait quand-même rien d’un dortoir des YMCA.
Mais comme elle semblait si fière de son idée, je n’ai pas eu le cœur de la contredire. D’ailleurs les trois garçons accueillirent avec gratitude cette initiative :
- Ah ouais, cool ! C’est vrai que sinon, c’était la galère ! Merci beaucoup !
Ils jouèrent donc le lit confortable à la courte paille ou, en l’occurrence, au « court bouchon » et ce fut Théo qui remporta le lot à la grande déception des deux autres :
- Putain, c’est pas juste ! Déjà que t’as pioncé toute la journée dans le cul de la bagnole pendant qu’on se tapait toutes les bornes !
Mais le beau brun ne lâcha pas l’affaire et les deux malchanceux partirent bientôt chercher leurs affaires afin de s’installer pour la nuit. Je les accompagnai pour leur indiquer où se mettre.
En entrant dans la chambre, on avait tout de suite à droite, contre la cloison, le lit simple puis le lit double un peu plus loin. Contre le mur en face, une imposante armoire prenait pas mal de place. Le plus simple était de rapprocher les deux lits afin de dégager un espace au fond pour un matelas et d’étendre le deuxième matelas aux pieds du grand lit. Fabien choisi la place du fond et Bastien celle dans le passage en maugréant :
- Ben j’espère que personne ne ronfle parce que sinon, j’aime encore mieux aller pioncer dans la bagnole !
Sympa. Faites donc des efforts pour accueillir vos copains, vous en serez pleinement remerciés ! Je laissai les gars se débattre avec leur gonfleur et ressortis.
Margaux et Théo avaient abandonné la table en bazar pour aller s’allonger sur les deux chaises longues restées sous le tilleul qui, à cette heure, ne donnait plus d’ombre depuis bien longtemps. Ils avaient allumé une clope chacun et semblaient partis dans une discussion de fond dont je devinais le sujet : Lauriane et la rupture.
Après tout, c’était l’occasion.
Margaux n’est pas une fumeuse régulière. Elle a cette capacité rare à résister à la tentation de la nicotine et préfère largement ce que l’on appelle la « cigarette festive »ou, comme à cet instant, le plaisir de savourer pleinement quelques bouffées brulantes dans le calme apaisant de la nuit, si possible avec quelqu’un car elle trouve triste de fumer seule.
Comme moi je ne fume pas, j’avais rarement l’occasion de lui accorder cet agrément. Alors ce soir-là, elle profitait de la compagnie d’un partenaire sur la même longueur d’onde pour goûter ce petit plaisir. Et comme ils semblaient avoir trouvé un sujet qui les passionnait tous les deux, le paquet risquait de ne pas suffire.
Ne souhaitant pas m’immiscer dans leur conversation et ne trouvant pas d’autre activité pour m’occuper, j’entrepris de débarrasser la table en attendant que les deux autres reviennent.
Justement, ceux-là semblaient bien s’amuser. Je les entendais même se marrer.
Je m’approchai silencieusement de la porte sans me faire voir.
- Regarde ce que j’ai trouvé Bastien ! Tu crois que ça fait partie de la déco ? » Demanda Fabien ravi en brandissant du bout du doigt ce que je reconnus comme étant une petite culotte de Margaux.
- Oh putain ! Belle trouvaille !
- Regarde-moi ça, si c’est pas joli ! T’imagine le mignon petit cul qui s’y est glissé ? Hmmm !
- Arrête ! Si tu continues comme ça à me la fourrer sous le nez, je ne vais pas dormir de la nuit ! Déjà que la nénette m’a bien chauffé ce soir à se trémousser devant nous, je sens que je suis bon pour dormir sur la béquille, moi !
- Ha ! Ha ! Pauvre Bastien ! On dirait bien que t’es sacrément en manque, toi !
- Ouais, et c’est pas ça qui va arranger mon état ! Vivement qu’on se lève deux ou trois petites espagnoles bien chaudes, histoire que je trempe mon biscuit ! En attendant, enlève-moi ça de ma vue avant que je n’aie trop envie d’aller y renifler l’odeur de chatte en chaleur qui doit y rester !
- Allez, t’as raison, j’arrête le supplice, je la remets où je l’ai trouvée. » Conclut Fabien en glissant le sous-vêtement sous le lit.
Manifestement, Margaux n’avait pas tort : On aurait peut-être dû faire le ménage
Lorsque les deux loustics reparurent, ils constatèrent comme moi qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la conversation entre Margaux et Théo.
Cela m’étonna un peu qu’ils ne tapent pas l’incruste plus que cela mais quand je leur proposai de venir m’aider à la vaisselle, ils prétextèrent d’une immense fatigue due au voyage pour aller se coucher sans attendre.
Merci les pour le coup de main, les gars !
Une heure plus tard, la vaisselle était lavée, essuyée et rangée, la table nickel et la cuisine n’avait pas été aussi bien arrangée depuis notre arrivée. J’avais beau regarder autour de moi, je ne trouvais plus rien à faire pour justifier ma débauche d’énergie mais ni Margaux ni Théo ne semblaient vouloir terminer leur discussion en aparté.
Me trouvant un peu godiche à tourner sans but, je finis par m’attabler à nouveau et trouvai de l’occupation à finir les bouteilles entamées. Je sais, ça faisait un peu poivrot solitaire mais, sur le moment, ça m’avait semblé une bonne idée, surtout que je pensais être immunisé contre la migraine par les abus précédents.
Oui, j’admets : Je n’avais plus les idées très claires à ce moment de la soirée.
J’espérais en tout cas écouter une partie de la discussion entre Margaux et Théo, histoire de les surveiller un peu et de me tenir au courant aussi mais, il faut bien dire que ça ne m’intéressait guère.
Ce n’est que lorsque j’entendis rire Margaux que je me rendis compte que je m’étais avachi sur la table depuis un temps indéterminé.
- Hé, chéri, tu dors! Vas donc te coucher, ce sera plus confortable !
- Mmm, oui je crois… et toi tu viens aussi ?
- Oui, mon amour, t’inquiète pas. Vas-y, je te rejoins tout de suite.
Ben voyons !
Mais que pouvais-je faire d’autre sans paraître indiscret et surtout superflu ?
Je suis donc allé dans la chambre où les deux lascars pionçaient en cœur.
Finalement, ils n’avaient peut-être pas menti : Le voyage les avait terrassés…
A moins que ce fut le rosé, comme moi.
Je me suis donc couché seul mais l’esprit remis en éveil, je ne trouvais plus le sommeil.
Margaux avait promis de me rejoindre rapidement mais le fait était qu’elle n’était toujours pas là. La discussion devait toujours être aussi prenante.
Et, seul, allongé dans un silence relatif à peine perturbé par les respirations profondes de nos deux colocataires de circonstance, mon esprit vagabondait, échafaudait des hypothèses.
Tant que j’étais là-bas, même de loin, je pouvais constater que Margaux et Théo ne faisaient rien d’autre que papoter. Je pouvais même capter quelques bribes de leur conversation :
- Lauriane pensait ci, n’était pas ça… Tu aurais dû faire ci et surtout pas ça… Mais rien n’est perdu, il suffit de changer ça… tu crois que j’ai encore mes chances ?… Mais oui bien-sûr… etc etc…
Mais là, n’entendant plus rien, ma nature soupçonneuse reprenait le dessus, inventait des scénarios… Et si Théo lui jouait le grand jeu de l’amoureux rejeté et éploré ? Avec son caractère de Saint-bernard, n’allait-elle pas vouloir le consoler, le réconforter ?
Et alors qui savait ce qui pourrait arriver ? Peut-être attendaient-ils que tout le monde dorme pour…
Non ! Arrête Erwan ! Tu te fais des films ! Il ne se passe rien !
Ok mais quand-même… Ne devrais-je pas entendre les échos discrets de leurs paroles par la fenêtre entre-ouverte ?
Or je n’entends rien ! Peut-être sont-ils enlacés dans le noir et peut-être ne disent-ils plus rien parce que leurs bouches sont occupées à autre chose !…
N’y tenant plus, je me suis relevé et me suis avancé discrètement dans la cuisine obscure pour constater de visu.
Même si ce que j’allais voir allait me faire mal, tout valait mieux que cette incertitude…
Mais non.
Ils n’avaient pas bougé. Ils ne s’embrassaient pas. Faiblement éclairés par la lanterne extérieure, ils continuaient à fumer tout en parlant.
En retournant me coucher, j’étais soulagé. Soulagé mais furax contre moi-même : Quel idiot j’étais !
Mais cela ne m’avait pas calmé pour autant.
Quand on attend dans le noir, les minutes paraissent des heures et mon esprit retors recommença rapidement à vagabonder.
Je me tournais et me retournais sans cesse dans le lit sans trouver le sommeil.
Mais que pouvaient-ils biens se dire d’aussi passionnant ?
Allaient-ils enfin finir par se coucher !?
Et si je m’étais levé trop tôt tout à l’heure ?…
Et si maintenant, ils étaient certains que je dormais ?…
D’ailleurs, en y réfléchissant, il me semblait qu’ils s’étaient nettement rapprochés, tous les deux… Et je ne me rappelais pas nettement la position des mains de Théo… et si… et si…
Et là ! N’était-ce pas un gémissement que je venais d’entendre ?
Si je me relevais, là, maintenant, n’allais-je pas trouver Théo agenouillé entre les jambes de Margaux… ou pire : L’inverse !
D’un bond, je me suis jeté hors du lit et j’ai traversé la cuisine après avoir failli écraser les pieds de Bastien.
Toujours rien.
Ils discutaient.
Ils ne s’étaient pas rapprochés. Chacun avait ses mains de son côté.
Margaux riait.
Ce que j’avais pris pour un gémissement n’était que le rire de ma femme.
Fallait vraiment que je me soigne ! Je n’allais pas bien !
Je ne dormais toujours pas quand ils se décidèrent enfin.
Si tel avait été le cas, je me serais sans doute quand-même réveillé tant ils prirent peu de précautions : Entre la porte claquée, les volets grinçants fermés sans ménagement, une ou deux chaises bousculées, c’était un vrai ramdam !
Ils pouffaient et rigolaient comme des gamins heureux de leur complicité.
Puis la porte s’ouvrit, laissant entrer la lumière de la cuisine dans la chambre.
- Chut ! Faut pas les réveiller !
- En tout cas, ça risque rien pour Erwan : Le connaissant, avec tout le rosé qu’il a picolé, il en a jusqu’à demain ! Tiens, ton lit est là… Tu as repéré… J’éteins !
Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas démenti en disant que je ne dormais toujours pas.
Peut-être parce que je ne voulais pas avoir l’air nigaud de les avoir attendu comme ça… et aussi parce qu’en faisant l’endormi, j’espérais aussi un peu surprendre une indiscrétion au cas où ces deux-là avaient fait plus que papoter dehors.
Paranoïa quand tu nous tiens !
L’obscurité est revenue… encore plus entière…
Un choc suivi d’un cri étouffé :« Awouah ! »
- Qu’est ce qui t’arrive ?
- Non rien… C’est ce foutu lit qui a fait du pied au mien !
- Hi-hi !
- Rigole maligne ! En attendant, fais gaffe de ne pas écraser Fabien… où Bastien d’ailleurs, je ne sais pas qui dort là.
- T’inquiète, j’assure !
- Remarque, je ne pense pas que l’un ou l’autre refuserait une jolie nénette comme toi dans son lit.
- Sans blague !
Ils se turent. Pendant un moment, on n’entendit plus que le bruit discret de leur déshabillage : Des chaussures qui tombent au sol, une fermeture éclair que l’on dézipe, un short ou un pantalon qui glisse le long des jambes.
Margaux s’était assise sur notre lit.
- Tu sais quoi ?
- Non.
- Ca me fait tout drôle de savoir que tu es en train de te mettre toute nue juste à côté de moi… Un vieux fantasme qui se réalise… Hélas, il fait trop noir…
Elle pouffa.
- Rassure-toi, tu ne perds pas grand-chose : Je ne suis pas nue, je garde ma culotte et un T-shirt. »
- Mince ! Un mythe s’effondre ! Moi qui croyais que tu dormais nue…
- Ca m’arrive souvent » Répondit-elle tandis que je reconnaissais le son caractéristique du déclipsage du soutien-gorge. Mais là, avec trois autres mecs dans la chambre, non. On ne sait jamais où seront les draps demain matin.
- Justement ! Dommage !
- Gros malin !
- En tout cas, moi je m’en fous, je dors à poil !
- T’es tout nu, là ?
- Ben ouais !
- Du coup, c’est moi qui en viens à regretter qu’il n’y ait pas un peu plus de lumière, là !
- Coquine !
Après un court silence, il reprit
- Tu sais, il a de la chance de t’avoir, Erwan, t’es vraiment géniale.
Oh non ! Ils n’allaient pas recommencer tout depuis le début !
Ça n’avait pas été dit avant, ça ?
Il était l’heure de pioncer, merde !
Mais Margaux ne semblait toujours pas pressée, elle restait assise sur le bord du lit.
- N’exagère pas trop quand-même !
- Si-si, je t’assure ! D’ailleurs, parfois, je me demande si je n’ai pas fais le mauvais choix…
- Comment-ça ?
- Ben rappelle-toi : A l’époque où j’ai connu Lauriane, t’étais libre, toi aussi. J’aurais très bien pu jeter mon dévolu sur toi.
- Oui-oui, je me souviens bien… Même que ça m’avait un peu vexée que tu préfères Lauriane… je crois que je lui ai fait la gueule pour ça… au moins deux minutes !
- Ben j’aurais très bien pu te choisir… J’aurais même sûrement dû te choisir…
- Ah ? C’est malin de dire ça maintenant… Et qu’est-ce qui t’a décidé ?
Cela ne fait que commercer... La suite demain